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les premières fois étaient les plus éprouvantes. les foules noires et les visages fardés des larmes aussi salées que la mer qui
les a arraché, et la mère détruite qui devait s’accrocher au frère, au père, pour ne pas s’écrouler. puis c’est presque devenu une habitude, routine morbide.
maman ne pleure plus. eamonn, lui, n’a jamais pleuré - pas devant tout le monde, jamais. stupide idée encrée dans l’encéphale qu’il se doit d’être fort, parce qu’avant, c’était le rôle de seamus, et seamus n’est plus là. il lui laisse comme triste héritage, une famille et toute la misère du monde à porter sur de pauvres épaules émaciées. tragique atlas qui n’arrive déjà pas à supporter le poids de la vie.
ça parle de retourner à la mer, parce que tôt ou tard, il faudra bien le faire. et eamonn soupire.
on le traîne par la manche dans ces commémorations. il ne comprend pas pourquoi on l’oblige à enfiler le même costume noir, à dompter ses trop longs cheveux dans un chignon discret, à écouter les mêmes discours, et les gens qui le prenne en pitié. «
toutes mes condoléances, je suis désolé. » qu’ils répètent à longueur de journée. ça n’a jamais réellement fait sens, pour eamonn. pourquoi s’excuser ? l’océan est l’unique fautif, l’affreux coupable qu’on ne peut condamner, pas les visages floutés auquel il n’a jamais accordé d’attention. et il murmure un «
merci » inaudible qu’il trouve tout aussi ridicule. merci pour votre pitié, je suis
profondément touché.
mais aujourd’hui, eamonn regarde. aujourd’hui, eamonn voit pour la première fois. des mères comme la sienne, des frères, des pères, des sœurs et des enfants qui partagent tous la même affliction, le même désespoir de voir un proche arraché à eux. un proche qu’ils ont serré dans les bras avant de sûrement lancer un «
au revoir, n’oublie pas de m’appeler souvent ! » pour ne plus jamais voir leur prénom s’afficher sur le combiné.
et au milieu du tas noir, un visage familier.
un peu trop
familier.
m e r d e
m e r d e
m e r d e
et le visage semble regarder le gamin, peut-être même lui offrir un maigre sourire en coin. eamonn en sait rien. il a pas bien vu. il a paniqué. baissé le regard avant de se retourner.
il demande à maman. elle lui dit que ce sont les enfants callehan.
ils ont perdu leur père dans le naufrage. et leur mère est décédée il y a quelques années. tragique. absolument tragique. pauvres petits. puisse dieu leur venir en aide.déchiré entre l’envie de fuir et d’aller consoler. le lâche a choisi la première option, s’éloignant un peu de la foule compacte vers un endroit plus reclus, une petite ruelle pas très loin, déserte d’âmes en peine.
faut qu’il se ressaisisse, eamonn.
oèn l’a peut-être pas reconnu. après tout, il a bien changé le morveux de quatorze ans aux lacets défaits. il a pris quelques ( trop de ) centimètres , les traits ont durcis, les cheveux ont poussés. les sourires timides bercés de candeur se sont effacés.
puis le eamonn d’aujourd’hui n’aurait jamais fait l’erreur de s’arracher le cœur
et le tendre aux inconnus.
oui, il a changé, et de toute façon, oèn ne se souvient sûrement plus de lui. il s’est sûrement évaporé de son esprit.
parce qu'eamonn n’a jamais été rien d’autre que le gamin du 112, et maintenant, il n’est plus personne.
il ne s’empêche pas de soupirer «
fuck. fuck. what the fuck. » entre ses dents serrées.
en venant pleurer ses fantômes, il n’aurait jamais pensé voir ressurgir ceux du passé.