— buried truth.

Sa démarche saccadée se déroule sous son poids tandis que Cobb avance dans l'allée. L'heure dorée abat ses flèches d'ambre sur les alentours ; un peu plus loin, le roulement de l'océan gronde doucereusement. On dirait que Wexford toute entière sort d'un guide à l'attention des touristes curieux. La lumière offre un cadre apaisant, une sorte de mysticisme au paysage s'étendant devant ses yeux. Les derniers rayons s'échappent de derrière la pierre ; ainsi, la ferme semble détenir tous les secrets des légendes irlandaises, et Cobb ne serait qu'à moitié surpris si cela était le cas. D'aussi loin que remontent ses souvenirs, Rockville a toujours été implanté dans le paysage. Aujourd'hui, avec les années, celui-ci est même devenu une petite institution en ville. Sa façade engageante, son joli jardin coloré et le sourire de la propriétaire ont contribué au fait qu'il devienne le pied-à-terre favori des voyageurs. Au tableau idyllique s'ajoute parfois le rire cristallin et enfantin de Mary, et, alors, témoin de la scène, Cobb est persuadé que quelque chose de magique se joue derrière ces murs.

Il se sent bien chez Freja. Un peu comme à la maison, ou peut-être mieux encore. La solitude, grande amie et chape de plomb sur ses épaules, se fait moins pesante, moins pressante. Il se surprend à sourire, tandis qu’il observe – iris scrutateurs – les progrès de la gamine ou les mouvements gracieux de sa mère. Alors, lorsqu’il sent que la mélancolie se dépose sur lui comme un paysage d’hiver sur les landes, il enfile bottes, manteau et va chercher son remède. Poing levé devant la porte, Cobb donne trois coups consécutifs. Dans ses mains, un plat : l’apple pie de sa mère, le dessert rituel terminant chacun des repas de la famille Monaghan depuis, dit-on, des générations. A l'évocation de son projet de visite à Rockville, celle-ci s'était étonnée qu'il s'y rende les mains vides, lui avait fait la morale sur les bonnes manières inculquées et s'était précipitée dans la cuisine. Cobb n'avait eu d'autre choix que d'attendre patiemment. Du moins, en feignant une certaine maîtrise de sa patience. D'où son retard, lui qui avait prédit arriver au moins une bonne demi-heure plus tôt. Sa canne, meilleure ennemie, de trop lorsque ses mains sont prises, est abandonnée sur le siège passager de la voiture garée à quelques mètres.

La porte tourne sur ses gonds, Freja apparaît, visage d'ange à qui l'on promettrait l'océan au beau milieu du désert. Gare, néanmoins, à celui qui sous-estimerait sa force de caractère, Cobb ne s’essaierait pas à la contredire de sitôt. "Navré si je suis en retard," lâche-t-il tandis qu'il la suit à l'intérieur de l'ancienne ferme rénovée. La douceur de l'atmosphère l'enveloppe et chacun de ses muscles se détend immédiatement. A chaque nouvelle visite, il se surprend à comprendre pourquoi les visiteurs s'arrêtent chez elle et ne veulent plus quitter leur nouveau foyer. "Je voulais emmener une bouteille de vin, mais il paraît que ça, c'est mieux." Avec un haussement d'épaule et un sourire peu convaincu, Cobb tend le plat. "Comment allez-vous, Mary et toi ?"