time to catch up (connor)

Il y a chez Jules une tristesse infinie, une tristesse qu'on ne soupçonne pas et qui, pourtant, n'a rien d'étonnant. Cette tristesse significative, cicatrice qu'on peut lire dans ses yeux, marqué au fin fond de son cœur. Cliché, très certainement. Pour autant ça n'est pas comme si elle pouvait y changer quelqu'un chose : Maman n'est plus là, Maman ne sera plus là, rien ni personne ne pourra changer ça. Alors la tristesse est là, à peine contenue, visible dans les orbes bleutés, visible à son faible sourire, aux rires qui se font rares. Jules déambule dans les rues inconnues et pourtant familières, reprends ses marques, reprends sa vie. Probablement qu'elle aurait pu (qu'elle aurait dû) retourné à Berlin, mais la belle s'en sent incapable et au fond, ça lui fait du bien d'être à Wexford. Alors la voilà qui retrouve les habitudes : pousse la porte du pub, se dirige vers le bar pour commander une pinte, et c'est seulement quand elle récupère son bien qu'enfin, elle regarde autour d'elle, découvre les personnes présentes dans la taverne ; les visages connus, surtout, les signes de la tête qu'on lui envoie par politesse pour ceux qui la connaissent.
Et elle le voit.
Connor est là, attablé, seul (est-ce qu'il attend quelqu'un ?), et son cœur, à elle, il loupe un battement. Trop longtemps que ses yeux ne s'étaient pas attardé sur le visage du garçon, elle voit bien les changements qui s'y sont opérés grâce au temps, l'âge qui avance. Elle-même a changé, troqué ses cheveux blonds d'avant pour un retour à sa couleur naturelle, ne parlons pas de mentalement. Tristesse repointe le bout de son nez, et elle hésite, la gamine, serait-ce vraiment une bonne idée d'aller le voir ? Qu'est-ce qu'elle pourrait bien lui dire ? Putain, il va l'envoyer chier, c'est certain. Mais elle ne peut pas s'en empêcher ; ses pieds se mettent en mouvement sans qu'elle n'y pense réellement, bientôt la voilà devant la table, elle hésite, encore, un peu, mais elle ne pourra pas l'éviter des années. Salut, Connor. Pas sûr que ça soit réellement une bonne idée, mais elle est prête à se faire envoyer chier ; enfin, elle croît l'être.

Il est de ces journées où les choses ne se déroulent pas comme vous l’auriez voulu, où rien ne semble aller dans votre sens. Connor est agacé, il râle à qui veut bien l’entendre, sa jumelle faisant d'habitude les frais de son humeur de cochon. Car il sait qu’elle peut tout endurer le concernant, qu’elle peut réussir à le calmer en quelques minutes quand d’autres mettraient des jours. Mais Flora n’est pas là, occupée à vagabonder il ne sait où. Cela fait plusieurs jours qu’il n’a pas eu de ses nouvelles et l’inquiétude est présente de son côté, bien qu’il n’en parle à personne. Même pas à Ophelia, à qui d’habitude il dit tout. Alors il lui reste une chose, une bière à aller chercher, un peu d’alcool et des cigarettes pour passer ses nerfs. Ce n’est pas dans ses habitudes d’aller au bar seul, de boire seul, mais aujourd’hui, il le sent, il en a besoin. Alors il pousse la porte de son pub préféré, the Sky and the Ground, qu’il fréquente généralement avec ses amis. Fréquentait, serait plus juste. Depuis l’accident, il ne les voit presque plus, une bombe a éclaté faisant des dégâts partout sur son passage. Et aucun d’eux n’en est ressorti indemne. Jamais il n’aurait imaginé que la perte de Cillian lui ferait autant de mal, jamais il n’aurait imaginé le perdre tout court. Au bar, il commande une pinte, ne souhaitant pas tomber dans le dramatique tout de suite avec un verre de whisky pur. Il prend la table la plus au fond, la plus tranquille, comme pour que personne ne le remarque. Et pourtant, elle, le voit. Il reconnaîtrait sa voix entre milles. Juliet. Sa Juliet, comme il l’aurait dit des mois et des mois auparavant. Il n’a aucune idée de ce qu’elle peut foutre ici, au fond, ne sait même pas si il veut le savoir. Mais elle s’assoit en face de lui et il se sent comme condamné. Condamné à avoir la discussion qu’ils auraient dû avoir deux plus tôt. Alors il utilise un sarcasme qu’on ne lui connaît guère, mais qui ressort chaque fois que son égo est blessé. Bravo Juliet, tu as deux ans de retard. Elle a brisé son cœur, sans se retourner, sans dire au revoir. Et la blessure est toujours à vif, des mois après. J’avais presque oublié ton existence. Tout avait si mal commencé aujourd’hui, il n’en fallait pas plus pour que cette journée vire au cauchemar.