il n’y a jamais eu de grandes scènes. de grands cris, de grands gestes, de questions hurlées sans réponses.
eamonn a appris la nouvelle de la voix tremblante de papa. murmurée comme si ça rendrait la chose moins vraie.
seamus est mort.
le monde s’effondre.
il n’a pas crié, il n’a pas pleuré, il ne s’est pas roulé sur le sol en cognant des poings et des pieds. il a cligné des yeux quatre fois avant d’acquiescer. plus aucun son pour faire vibrer ses tympans, seuls les mots de papa résonnaient contre les parois de son crâne et s’enfonçaient perpétuellement dans l’organe vital perforé. eamonn avait oublié son gilet pare-balles ce jour-là.
et puis, on ne le voyait plus trop, eamonn – l’a-t-on déjà vu ?
et puis, on y faisait plus trop attention, à eamonn. on passait devant lui sans jamais remarquer les yeux rougies et les narines humides, parce que trop débordé à soigner son propre cœur trituré pour s'occuper de celui du gamin.
au début, la tristesse s’est accaparée de son appétit. alors oui, les pantalons ont soudainement besoin de ceinture, les joues donnent moins envie d’être tirées, la peau ternie, refroidie. mais c’est normal. vous comprenez, seamus est mort.
et un jour, maman l’a longuement regardé, l’inquiétude s'incrustant lentement dans ses yeux jusqu’alors sans vie…elle l’a regardé, et elle a dit "
je pense que tu devrais aller voir un psy. " et enfin !!!
enfin elle le voyait !!!!!!!!! "
qu'est-ce que tu as mangé à midi ? " elle l’observait à table, tentait de se faire discrète, subtile. "
tu es un peu amaigri. " légère inquiétude dans la voix, mais la psychologue charmée par les ruses du gamin affirme qu’il n’y a pas de soucis. c'est seulement le choc. une perte d'appétit. "
la psy m’a dit que c’était normal. je suis rassurée, j’avais peur que tu sois malade ! " les épaules plus légères. on oublie un peu les angoisses, mais on veille toujours à plus remplir l’assiette du petit dernier. parce qu’eamonn est tellement plus beau avec des joues bombées, délicatement rosées. alors on lui dit de ne pas se priver, de se resservir si besoin est.
mais s’il mange, si la carcasse se remplie, alors on ne le verra plus !!!!
ah, quelle triste ironie de n’être vu seulement
lorsque l’on disparaît
…
la jambe est nerveusement secouée, les ongles déjà trop courts, voracement rongés - eamonn s’attaque à présent à la peau autour de ces derniers. la lumière bleue agresse. le son de l’horloge se mélange aux pensées volatiles. il imagine les futurs mensonges qui aviveront sa conversation avec miss dempsey. il ne veut pas la voir aujourd’hui.
ni jamais.
la salle d’attente s’anime d’une nouvelle âme qui vient tout juste d’entrer. eamonn jette un coup d’œil avant de baisser les yeux, fixe ses phalanges éternellement frigorifiés ; elwyn le corrupteur qui n'a jamais tenté de masquer sa lassitude d'être là. elwyn qui très souvent se penche vers eamonn en lui posant l'éternelle question "
on s ' t i r e ? " à laquelle il a toujours répondu non. «
non, je dois vraiment y aller. » «
non, ma mère me tuerait si elle l’apprenait » «
non, désolé.»
et peut-être qu’aujourd’hui, eamonn est enfin prêt à attraper une main, si on lui tend.
(
demande moi demande moi demande moi demande moi demande moi)