Et si le Mal peut devenir le Bien, c’est que tout est possible.

"Jo ? Jo', pourquoi t'es là ?"
Elle s'écroule dans les bras qu'il lui tend, trébuche, pleure. Son nez coule, son mascara aussi. Un désastre, voilà ce qu'elle est ce soir. Cillian la réceptionne, la fait rentrer dans l'appartement. Ses cheveux volent devant son visage, qui n'a plus rien de gracieux, déformé par la douleur et les larmes. Elle se laisse déposer dans le canapé, petit poupée de chiffon amorphe. Elle s'en fout. Elle a mal.
"Qu'est-ce qui ne va pas, Joan. Parle moi."
Elle secoue la tête, pleure de plus belle. Il lui prend la main, la presse. Il veut savoir. Comprendre. Elle sent sur elle le regard pesant de son ami, alors elle s'enfouit dans son épaule. S'y cache. Elle n'est pas capable de le dire. Pas capable de l'avouer. Ni à lui, ni à personne. Et surtout pas à elle. Mais ça fait si mal.
Pourquoi leurs lèvres qui se joignent dans le bar lui a fait l'effet d'un coup de poignard ? Pourquoi les voir l'a obligée à s'enfiler ces shots ? Pourquoi son regard inquiet lorsqu'elle avait fui vers les toilettes, ivre morte, l'avait-elle désespérée ?
Elle est Joan. Joan, celle qui a su fuir. Joan, celle qui a su vivre. Celle qui s'en est sortie. Elle n'est pas sa mère, bigotte stupide bloquée au 18è siècle. Pas son père et son culte de la violence. Pas son frère, crédule, naïf, persuadé dans son erreur. Elle vit pour elle. Alors pourquoi a-t-elle si mal ?
Pour quelque chose de si anodin ?
"Amène moi de la vodka."
Il la regarde, l'air dubitatif. S'exécute, cependant. Il la connaît bien. Ils se connaissent bien, tous. D'ailleurs, la bouteille qu'il sort de son congélateur n'attendait qu'elle, elle le sait.
Ses lèvres laissent une vague trace rouge sur le verre. Le restant d'un rouge à lèvres détruit par les baisers sauvages, volés aux inconnus. Pitoyable tentative de ne plus les voir. De ne plus la voir. Echouée.
Ils vident leurs verres d'un trait. Se regardent, droit dans les yeux. Elle a déjà couché avec lui, une fois. Elle a couché avec toute cette putain de ville. Pas fou, plutôt drôle cependant. Pas de plaisir. Elle n'en a jamais.
"Je l'aime. Je suis amoureuse d'elle."
Shot.
Larmes.
Un hochement de tête. Il sait.
Shot. Puis le noir.
Demain, elle aura oublié. Demain, ça ira mieux.


Elle regarde le journal, incrédule. Les larmes de Philomena retentissent, depuis sa chambre. Dire qu'il y a une semaine elle aurait tout donné pour qu'il disparaisse. Voir la tête du stupide mec de sa colocataire lui serre la gorge. Mais ça n'est pas ce visage qui lui retourne l'estomac. Ce n'est pas ce visage qui lui donne envie de sortir, en hurlant. De pleurer. Qui lui fait se demander comment vivre, maintenant.
Elle envoie valser le journal. Pas assez. Elle en veut encore.
Elle éclate son bol par terre, se coupe. Fait voler la boîte de céréales. Le sang goutte sur le parquet. Son cœur explose. Elle va devoir avancer seule, maintenant.
Demain, elle s'en sortira. Demain, ça ira.