Tyrell ¤ so goodbye yellow brick road.

Le regard tourné vers l'horizon, Tyrell reprit sa respiration. Une lutte depuis des semaines. Depuis que le bateau qui avait quitté le port n'était jamais revenu. Il ne savait pas où son ami avait péri, il n'aurait vraisemblablement jamais la réponse désormais. Pourtant, il avait cherché des heures durant, là sur son bateau de sauvetage, malgré le mauvais temps alors qu'il aurait dû attendre le feu vert des autorités. Tyrell n'en avait que faire des règles lorsqu'il était question de gens qu'il aimait... Ces gens qui partaient bien vite, peut-être parce qu'il n'était pas à la hauteur de leur existence. Son regard bleuté s'éleva alors que quelques gouttes de pluie tombèrent sur son visage, l'orage guettait mais il se refusait de bouger de la falaise. Il regarda la mer, des éclairs passant dans son regard si pénétrant: même après la tragédie, il l'aimait encore. La mer, sa vie. Sa main resserra son étreinte autour de l'objet arrondi dans le creux de sa paume et il l'exhiba sous les larmes du ciel. La perle d'huître devenait perle de pluie, pour toutes ses âmes perdues, tous ceux qui l'avaient quitté. Brendan. Sa mère. Alicia. Il se remémorait... Il n'oublierait pas. Jamais.

Les débuts étaient beaux, si prometteurs, leur regard se perdant l'un dans l'autre, le temps se suspendant le temps d'un instant. Encore et encore. Puis, la vie avait repris son cours parce que Tyrell était un pêcheur et qu'il écumait les mers dès qu'il le pouvait, se sentant mal sur la terre ferme. Alicia avait accepté, du moins au début parce qu'elle aimait les océans presque autant que lui, faisant des interventions pour sensibiliser les jeunes à la préservation de leur environnement. Deux ans, le tout avait duré deux ans. Et puis, les disputes avaient commencé à se faire incessantes, dès que Tyrell posait un pied à terre, Alicia le regardant avec mépris parce qu'elle était devenue cette femme qui l'attendait... Elle détestait ce concept, voire même l'idée. O'Shea avait senti le décalage, il était perpétuel depuis des semaines mais cette fois, il savait ce qu'il avait à faire. L'idée lui était venue deux jours auparavant, alors qu'il était dans un port voisin pour déverser la marchandise et qu'en ouvrant quelques huîtres, il était tombé sur une perle. Scintillante, comme si elle l'attendait. Un signe du destin? Ces derniers temps, l'envie de raccrocher la pêche le titillait et voilà qu'au plus douteux des instants, on lui rappelait son dilemme. Il débarqua à dix neuf heures précises ce soir là. Seul sur le ponton. Pour la première fois depuis deux ans, Alicia n'était pas là. Sans se douter de quoique ce fut, la perle roulant entre ses doigts, il se dirigea jusqu'à chez elle, toquant avec vivacité, dans l'attente de recevoir son sourire. Lorsque la porte s'ouvrit, ce ne fut pas cela qu'il reçut mais une froideur certaine, insistante. "Tyrell, ravie que tu sois en vie." Il l'interrogea du regard pour demander son approbation pour entrer. Elle ne sembla pas contre la notion, même si elle le toisa les bras croisés alors qu'il déposait ses affaires sur la table de la salle à manger. Puis, il s'approcha d'elle, son sourire charmeur accroché à ses lippes, s'apprêtant à lui offrir un baiser, qu'elle détourna par une simple bise sur la joue. "Alicia? Tu vas bien? Je sais que la dernière fois qu'on s'est vus, on s'est un peu pris la tête sur cette histoire de pêche mais justement, je voulais t'en parler. Non, mieux, j'avais quelque chose à te demander..." Il serrait la perle mais c'était vain, quelque chose au fond de lui le savait déjà en tombant sur le regard de sa comparse qui le coupa dans son discours. "Non, c'est bon avec les excuses et les promesses d'arrêter ton métier ou quoi... Je peux pas vivre comme ça, à attendre un mec qui s'en fout pendant des années donc, je crois que..." Tyrell perdit son souffle, interpellant la jeune femme avec plus d'autorité cette fois. "Attends, tu me largues là? J'ai démissionné, Alicia. Je vais reprendre l'élevage de mon père, je vais rester à terre, je..." Elle l'arrêta d'un geste de la main, attrapant les affaires de Tyrell pour les lui coller dans les bras. "C'est trop tard, Ty', c'était il y a des mois que t'aurais dû faire ça. Je crois juste que tout ça, c'est pas assez pour moi alors... Je sais pas ce que tu voulais me demander mais je crois que ce serait mieux qu'on se quitte là dessus, crois moi." Tyrell voulait se défendre, faire un grand monologue pour lui prouver qu'il était prêt, que la perle qu'il tenait entre ses doigts devait finir sur une alliance mais il se contenta de la lâcher dans sa poche, attrapant son sac avant de s'en aller en claquant la porte. La fuite avait gagné, cette fois là et les regrets reviendraient vite le hanter. Tyrell, néanmoins, était persuadé de ne jamais revenir en arrière, de ne jamais revenir vers elle.

Écartées de la côte, les prairies familiales se laissaient bercer par le doux vent de l'été. Les vaches étaient paisibles, collées à quelques arbres qui leur offraient une zone d'ombre définitivement appréciée. L'ambiance dehors était au beau fixe, des rires inondant les rues en vue du temps qui s'éternisait ces derniers jours, un fait rare pour un petit village irlandais. Pourtant, au milieu de ce bonheur latent, les O'Shea, eux, se démenaient avec la tragédie. A l'étage de la maison, on entendait des pleurs, l'attente marquant les coeurs presque autant que le décès à venir. Eion s'éclipsa de la grande chambre, essuyant une larme sur sa joue gauche. "Ty', c'est à toi." Tyrell épousseta sa chemise, encore marquée par les marques de foin qu'il avait ramassés toute l'après midi. La sueur perlait à son front mais il ne prit pas le temps d'aller passer son visage sous l'eau, l'urgence était là derrière la grande porte blanche, son enfance entière menaçant de disparaître finalement. Il pénétra dans l'antre dédiée à ses parents depuis sa naissance, un endroit qu'il avait peu visité au cours de sa vie. Elle était là, allongée, à l'aube de ses adieux. Tyrell, impuissant mais courageux, s'assit sur le rebord du lit, la regardant de ses beaux yeux bleus. Les mêmes yeux qu'elle. Le seul héritage qu'elle avait pu lui laisser. "Sois pas malheureux, chéri... La vie est loin d'être finie pour toi et tu le sais. Je t'ai vu grandir, je t'ai vu devenir un homme merveilleux et j'ai aucun doute que ton avenir sera radieux, même si tu le penses pas ces derniers temps." Elle vint lui caresser la joue, tremblante, reprenant son souffle après une telle tirade. Sa mère lui avait tant donné et Tyrell avait l'impression de ne pas lui avoir rendu ne serait-ce que la moitié de tout cet amour. "J'aurais aimé faire plus pour toi... Et pas être juste le fils aîné qui reprend l'élevage, tu m'as toujours dit de suivre mes rêves et je les ai tous laissés filer... Je te laisse partir, toi aussi." Elle se mit à lui sourire en reposant sa main sur le drap, frôlant la sienne, finissant par la happer dans la sienne. "Je suis fier de toi, Tyrell. Peu importe tes choix passés ou futurs, je suis toujours fier de toi. Je voulais te donner ça..." Elle laissa tomber dans sa main son médaillon, la chaîne qu'elle avait perdu tout au long de sa vie et que Tyrell avait eu tout le loisir de regarder évoluer dans la sphère de sa génitrice. "A chaque fois que tu douteras, à chaque fois que tu te sentiras vaciller, regarde le et rappelle toi de ce que je t'ai dit. Vis, Tyrell. Vis." Une larme coula le long de la joue du jeune homme, il savait que ce serait la seule. Son départ le meurtrit énormément mais la main posé sur le médaillon désormais autour de son cou, Tyrell put surmonter l'épreuve, les yeux rivés vers le ciel en espérant qu'elle serait plus heureuse là haut. Sans plus aucune souffrance.

Là, face à la falaise, le temps s'était arrêté sur ses jolies sourires, celui de Brendan lui revenant en dernier. La dernière fois qu'il l'avait vu, le jeune pêcheur n'arrêtait pas de parler du futur qu'il était en train de s'inventer, du bonheur qu'il avait gagné dans l'adversité. C'était un homme qui méritait tellement et pourtant, c'était lui qui était parti prématurément, sans répondre aux cris de Tyrell dans l'immensité de l'océan. Il ne reviendrait pas, c'était une évidence mais là encore, personne ne revenait jamais. L'essentiel, c'était de rebondir, de vivre. Toujours vivre. Et jamais seul, par dessus le marché. Effectivement, au moment où Tyrell levait les yeux au ciel, ses deux mains furent attrapées et deux silhouettes s'assirent à ses côtés. Il les regarda une à une, ses soeurs, serrant chacune une de ses mains, comme si elles savaient comment faire disparaître le malheur. La perle de retour dans son médaillon, Tyrell leur sourit une à une alors que tous les trois faisaient face à la mer. Pas tout à fait heureux mais ensemble, c'était la seule réalité qui avait de l'importance après ce qu'ils avaient traversé.