(C L A R E) c'est tes étreintes qui m'ont rattrapé

la jeune femme voit les mères entrer seules dans l'école, et ressortir avec leurs enfants. elle attend, les enfants de sa classe toujours occupés à jouer alors que les cours sont finis depuis un peu plus de dix minutes. la plupart des élèves sont déjà repartis aux côtés de leurs parents, le sourire sur les lèvres et un flux de paroles discontinu - et ça la fait rire, d'imaginer les pères et mères, désespérés d'avoir des moulins à paroles chez eux. elle qui n’en a pas encore mais qui rêve pourtant de fonder une famille, aussi grande et aussi heureuse que la sienne - en évitant au mieux les histoires compliquées et les malheurs des uns ou des autres, elle ne le voit que trop bien entre les aînés. et elle doit justement rejoindre aislinn juste après la fin de sa journée ; elles ont convenu de se retrouver chez aislinn, parce que la dernière fois c’était le contraire. elle voit la dernière maman entrer, c’est une jeune femme qu’elle connaît bien, avec qui elle s’est liée d’amitié. une amitié provoquée au départ par les soucis de mae à l’école, petite fille dyslexique dans sa classe. « à demain, madame clare. » c’est sa voix qui la sort de ses pensées et elle répond à son signe de la main, heureuse d’avoir un tel boulot et excitée à l’idée de sonner la fin de sa journée. clare va rechercher son sac et elle prend son téléphone en rejoignant sa voiture, ses sourcils se froncent et son coeur s’accélère, une boule dans la gorge. un mauvais pressentiment. sept appels manqué de « maman  », sa mère est rarement aussi insistante, surtout qu’elle sait que clare ne finit jamais journée avant seize heures. ses mains tremblent alors qu’elle compose le numéro connu par coeur de sa mère, toutes les hypothèses défilent dans sa tête : un malaise?, papa ?, un accident ?, ou peut-être juste une mauvaise manipulation ? mais sept fois, ce n’est plus un hasard. quand sa mère décroche, au bout de deux sonneries interminables, l’inquiétude qu’elle voudrait garder en elle se sent dans sa voix. « coucou maman. tout va bien ? ce n’est pas ton genre de m’appeler quand je travaille et encore moins autant alors je- » pas le temps de finir sa phrase correctement : les sanglots à l’autre bout du fil la font perdre pied. maman n’est pas du genre à pleurer facilement, elle est forte maman et donc, c’est quelque chose de grave. « maman... » elle implore, les secondes paraissent des minutes, des heures. « c’est aislinn. elle.. elle.. est morte. » les sanglots qui reprennent de plus belle, et elle n’assimile pas les mots prononcés par sa mère. aislinn ne peut pas être morte, elles doivent se voir dans une dizaine de minutes. une mauvaise blague, juste une mauvaise blague. c’est le premier avril aujourd’hui ? et personne ne lui a rien dit ? l’affreuse vérité, son bras retombe, serrant le smartphone dans sa main alors qu’elle n’entend plus rien d’autre. aislinn est morte. entêtante litanie qui la rend folle, elle ne veut pas entendre, pas accepter. sa vie s’est effondrée.